Qu’est-ce que Marseille représente pour vous ?

Marseille, c’est ma ville de naissance que j’ai quittée à l’âge de 15 ans alors que c’était encore une ville sinistrée. Depuis une quinzaine d’années, je reviens une fois par semaine y travailler, voire plus. J’ai pu voir l’évolution de la ville. Elle s’est transformée architecturalement et structurellement, s’est reconstruite, mais elle s’est aussi transformée en termes de qualité et d’art de vivre. J’ai vu apparaître ce qu’il n’y avait pas avant : une nouvelle restauration et une nouvelle culture. Depuis quelques années, on porte sur Marseille un nouveau regard. Tout d’un coup, on découvre l’autre capitale ! C'est parfois un peu surinterprété ou surestimé, mais avant, ce qui est clair, c’est que la ville était totalement sous-estimée… Marseille a un potentiel géographique et de population extraordinaire. Elle était enfermée dans un modèle culturel qui l’empêchait de s’ouvrir à l’extérieur. Et aujourd’hui, Marseille est une des villes les plus désirées dans le monde, à juste titre. Notamment parce que le monde s’est standardisé architecturalement du point de vue de l’offre du commerce et de la culture et que Marseille reste authentique de ce côté-là.

Justement, cette ville si particulière, cette ville méditerranéenne, en quoi a-t-elle une influence sur votre travail ?

Il y a indéniablement dans le dessin de tout architecte ou dans son vocabulaire, un style presque balnéaire. Et ce rapport à la mer, à l’eau, au paysage, reflète l’idée que l’architecture doit s’accommoder de son site, se contextualiser, à la différence d’une architecture moderne qui est dans un style uniforme, peu importe son contexte…

Vous parlez souvent de la capacité de l’architecture à émouvoir ou à séduire. Comment y parvient-elle ?

Très souvent, quand on conçoit un projet, il y a d’abord un plaisir un peu personnel. On cherche à aimer son projet, à ce qu’il nous séduise nous-mêmes. Après, on fait toujours attention, tout en utilisant notre propre vocabulaire lié à l’agence, à satisfaire les enjeux du site. Répondre par un bâtiment qui va à la fois s’intégrer au paysage, ne pas choquer, mais qui va être néanmoins de son époque. Je ne dis pas marquer son époque, mais bien être de son époque. Il y a une grande différence sémantique !

Votre accession à la tête du groupe Constructa a-t-elle changé votre manière de penser l’architecture ?

Elle a surtout changé mon regard sur la maîtrise d’ouvrage. J’ai découvert la beauté et la dureté de ce métier. Mais aussi, lorsqu’on est maître d’ouvrage, cela responsabilise beaucoup plus. Forcément, cela pousse à une certaine simplification et à une moins grande expérimentation des choses, mais ça ne réduit en aucun cas l’ambition. Cela apporte un regard quelque part plus rationnel. Je ne pense pas que l’architecture peut être à chaque fois expérimentale et que les architectes puissent se positionner comme des artistes, totalement libres de mouvement. La maison que vous habitez répond à des normes de solidité, de sûreté, de confort, d’hygiène… Et tout cela, si on l’assume, on doit en porter la responsabilité.

Avez-vous des maîtres à penser ?

Bien sûr. Et pas des moindres ! Fernand Pouillon (1912-1986), par exemple. Lui aussi était à la fois maître d’œuvre et maître d’ouvrage, et si ses ensembles sont aussi remarquables et copiés aujourd’hui, c’est parce qu’en étant maître d’ouvrage, il imposait sa qualité. Il était même propriétaire des carrières de pierres qu’il utilisait ! Sinon, ça aurait été encore l’un de ces immeubles des années 60 en béton aux enduits mal faits… Mais comme c’était lui qui décidait de tout, il imposait ses détails extraordinaires… devenus des chefs-d’œuvre aujourd’hui. Autre exemple : les frères Auguste (1874-1954) et Gustave (1876-1952) Perret. Avant d’être les architectes de la reconstruction du Havre, parce qu’ils portaient également la double casquette, ils se donnaient les moyens de faire un certain nombre d’expérimentations. Ce sont eux qui ont inventé le premier immeuble d’habitation en béton, rue Franklin, à Paris. Et puis il y a François Spoerry (1912-1999), l’inventeur du postmodernisme, celui qui va ériger de toute pièce la ville de Port Grimaud. C’est son œuvre globale, d’une perfection absolue, qu’il va pouvoir porter parce qu’il n’a pas d’intérêt financier derrière autre que le sien…

La transition écologique est nécessaire, d’autant plus dans le secteur de la construction. À quoi l’architecture de demain doit-elle être particulièrement sensible ?

Au contexte. Tout simplement. Lorsqu’on exerce en Méditerranée, il faut travailler dans l’épaisseur, avec de la maçonnerie, des savoir-faire locaux, des artisans locaux, des ouvriers locaux, des architectes locaux. Elle est là, la vraie logique, le bon sens. Et l’autre chose – et on revient à la question de tout à l’heure –, c’est Pouillon. Pourquoi les ensembles de Pouillon sont-ils aussi beaux et culturellement forts ? Et surtout, intemporel ? Parce qu’ils sont faits avec de vrais et beaux matériaux. Et donc, 50 ans après, sans aucune rénovation, ça n’a pas bougé. C’est aussi ça le développement durable.

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