Les Tropéziens craignent encore une descente en 1521 et l’idée de fuir la ville est évoquée mais vite abandonnée. Le danger est alors grand pour toutes les communautés littorales comme en témoigne la campagne de Barberousse en 1530-1531 durant laquelle Toulon est menacée, La Napoule et La Valette pillées.
Dans un quatrain écrit vers 1545, Nostradamus résume parfaitement la situation de la côte provençale : “Non loin du port pillerie et naufrage/ De la Cieutat frapte Isles Stecades/ De Saint Tropé grand marchandise nage/ Chasse barbare au rivage et bourgades”. Citons quelques exemples choisis parmi de nombreux autres… En 1559, un garde du cap Lardier à Ramatuelle est tué, trois autres sont enlevés avec une femme et deux enfants. Une nouvelle attaque a lieu au même endroit en 1563 : une douzaine de Provençaux sont enlevés et une rançon immédiatement demandée. Ces cas interrogent : Quelle est la nature du danger ? Qui sont les Barbaresques ? Quel est le sort des captifs réduits en esclavage ?
“Se garder, per l’aide de Dieu, de nostres ennemicz, tant de nuech que de jourt”
“Se garder avec l’aide de Dieu, de nos ennemis, tant de nuit que de jour”. Cette phrase tirée des archives municipales de la ville illustre bien cette préoccupation d’habitants vivant près du rivage. Elle est d’autant plus juste qu’avant Louis XIV, la France ne dispose pas véritablement de marine de guerre permanente pour exercer la police des mers mis à part quelques galères marseillaises. La situation s’aggrave encore au XVIIe siècle comme le rappelle l'historien Gilbert Buti. La première moitié du XVIIe siècle paraît avoir été particulièrement tragique notamment pour Saint-Tropez. Les références aux Turcs sont toujours aussi nombreuses. Les conséquences sont clairement indiquées : la “ruine de la navigation et du commerce par les incursions des pirates turcs.” En 1665, les officiers de l’Amirauté qui participent à une enquête demandée par Colbert reconnaissent la désintégration de la flotte du petit port : “… il y a eu plus de 80 navires ou polacres et un plus grand nombre de barques et tartanes appartenant aux habitants de ce lieu… tous les susdits navires, polacres, barques et autres gros bastiments, contenus aux dits cadastres – sans exception d’un seul – ont tous péri malheureusement, les uns par quelques accidents de mauvais temps… les autres par des incursions des corsaires d’Espagne et Maillorque et la plus grande partie par les pirateries continuelles des Turcs d’Afrique, où lesdits bastiments avec leurs équipages et chargements ont été emportés.” Cette “véritable apocalypse” est soulignée également par un autre historien, Michel Morineau, qui précise que “toute une flotte a été engloutie entre 1612 et 1664”. L’exemple tropézien témoigne à lui seul de l’apogée de la course barbaresque au XVIIe siècle. La population a toujours peur d’une attaque massive sur Saint-Tropez. En 1609, sur l’avis de Marseille, les Tropéziens, comme les autres cités portuaires craignent l’arrivée de galères.
Nouvelle alerte en 1616 qui pousse les consuls à ordonner la réparation du bastion de l’Aire du commun (la tour Jarlier) et la fermeture des portes. Des hommes en armes sont postés sur toutes les avenues de la ville. Il en est de même en 1620 lorsque les Tropéziens établissent trois nouvelles gardes sur les avenues en plus des six déjà existantes. L’alerte a été donnée par le gouverneur de Provence, le duc de Guise, qui a reçu une information selon laquelle Alger a armé sept galères et dix vaisseaux ronds pour venir sur la côte. Ce type d’alerte se répète en 1627. Cette année-là, les Tropéziens font des présents aux galères pour éviter leurs déprédations. Nouvelles alertes en 1655 et presque chaque année durant la décennie 1660. En 1661 par exemple, les Tropéziens aperçoivent quatre vaisseaux turcs. Peu de temps après, ce sont deux brigantins qui sont vus. Ces menaces de descentes se sont-elles concrétisées ? La ville n'a pas été attaquée. Toutefois, les Turcs apparaissent bien sur la côte et font régulièrement des descentes dans les campagnes. Cette navigation très proche de la côte et les mouillages dans quelques criques le soir, permettent parfois à quelques esclaves de s’échapper, comme en 1661, lorsque plusieurs Vénitiens parviennent à s’évader des galères turques présentes dans le golfe d’Hyères. Un événement similaire se produit en 1670, avec l’évasion d’un esclave d’une barque turque. Mais ces Barbaresques qui terrorisent les populations littorales, qui sont-ils ?
Les écrits de l'époque consacrés au monde barbaresque rappellent donc le caractère cosmopolite des principales villes côtières d’Afrique du Nord : Français, Italiens, Anglais et autres Européens composent une part non négligeable de la population renégate de ces villes. De nombreux Européens sont devenus en effet, de gré ou de force, musulmans. Et ces renégats comptent pour une grande partie des équipages barbaresques. Ainsi, les pirates turcs cités dans les archives sont bien souvent des européens. Observons-les à travers quelques exemples tropéziens. Jacques Fabre est sans doute le renégat originaire de Saint-Tropez le mieux connu grâce aux recherches de Bruno Léal. Né à Saint-Tropez en 1600, Jacques Fabre est capturé à l’âge de 9 ans alors qu’il est mousse sur un bâtiment qui se rend à Gênes. Circoncis de force sur le navire avant qu’il arrive à Tunis, le jeune Fabre adopte, petit à petit dans les années qui suivent, la foi musulmane, sans oublier pour autant complètement sa religion de naissance. Parallèlement, Fabre qui a pris depuis le jour de sa circoncision le nom de Mourad, pratique aussi la course, tout d’abord sous la contrainte et sur le navire de son maître, puis de son propre gré. En 1618, il est capturé par les Espagnols et traduit devant le tribunal de l’Inquisition de Lisbonne qui finit, après cinq mois de procès, par le réintégrer au sein de l’Eglise catholique. Mourad redevient ainsi Jacques. Autre exemple daté celui-ci de 1620. Lors d’une campagne, le capitaine de vaisseau Philippe Prévost de Beaulieu-Persac attaque avec succès une flottille d’Alger. Parmi les quatre vaisseaux d’Alger capturés, trois sont commandés par des renégats originaires de La Rochelle, Arles et Saint-Tropez. Citons un dernier cas qui illustre bien le caractère cosmopolite de la plupart des équipages barbaresques. Parmi les prises françaises de 1621, figure une barque de 26 hommes. L’équipage est composé, outre un certain nombre de Turcs et de Maures, d’un renégat tropézien, de trois Marseillais, d’un Savoyard et d’un autre Français. La présence de Provençaux parmi les équipages barbaresques peut faciliter grandement les campagnes corsaires sur un littoral si familier à certains. La connaissance des rivages, des lieux où mouiller un navire discrètement, augmente les chances de réussir une bonne campagne. Portons donc notre regard vers ceux qui eurent la malchance d'être capturés et réduits en esclavage.
De nombreux actes retrouvés dans les archives des communautés littorales font allusion aux captures d'hommes, mais également de femmes et d'enfants. Leur sort est très variable. Les enfants sont généralement faits musulmans de force. Beaucoup deviendront à leur tour corsaire. Les hommes capturés qui ont un savoir particulier sont également réduits en esclavage et employés dans leur spécialité. Un charpentier se retrouve immédiatement à travailler aux chantiers navals tandis qu'un homme sachant lire et écrire sert dans l'administration. Les plus costauds ou les moins qualifiés sont destinés à des travaux de force. Leur sort est déterminé au marché aux esclaves. Certains sont achetés par des particuliers quand d'autres sont réservés à l'État. Quant aux femmes, elles sont avant tout employées comme domestiques. Ces chrétiens capturés ont une certaine valeur qui dépend de leur état physique, de leur origine sociale et de leurs compétences. Leur capture est connue de leur famille, de leur cité d'origine et leur rachat est possible, voire voulue par leurs maîtres qui cherchent ainsi à s'enrichir grâce aux rançons demandées.
Avouons-le, nous connaissons surtout les noms de ceux qui font l'objet d'une tentative, réussie ou pas, de rachat. La question des rachats est en effet au cœur des discussions du conseil de la communauté tropézienne à partir de la fin du XVIe siècle. Il faut tout d’abord que les édiles municipaux identifient les Tropéziens captifs ainsi que leur lieu de détention. Il leur faut ensuite connaître le montant exigé pour chaque libération. Le rassemblement des sommes est également une tâche difficile qui précède l’opération elle-même. Les intermédiaires jouent naturellement un rôle très important. Tous ces paramètres font que certaines opérations de rachat peuvent durer plusieurs mois, voire quelques années.
Les hommes sont sans aucun doute les plus nombreux à être capturés. Cela s’explique aisément, car beaucoup sont marins et leur triste sort débute en mer. Nous possédons peu de noms pour le XVIe siècle, beaucoup plus pour le XVIIe. Cela tient au fait qu'au XVIe siècle, la communauté tropézienne est impuissante à agir, au plus dénonce-t-elle les attaques. Les premières tentatives de rachat ou d’échange paraissent être le résultat d’opérations individuelles, familiales. Il en est ainsi de celle montée par les patrons Étienne Guirard et Antoine Coste en 1579. Ces deux capitaines tropéziens ont acheté un Turc à Bormes pour la somme de 25 écus. Leur objectif est de le conduire à Marseille afin, à terme, de l’échanger contre Barthélémy Guirard, leur cousin, esclave en Barbarie. Peu à peu, le conseil de la communauté s'empare du problème comme l'illustre le cas de Pierre Cauvin. Capturé en 1563, les consuls font allusion à sa mésaventure car il est au moment de sa capture, collecteur d’impôts pour le compte de la communauté. Mais au final, il y a peu de noms dans les archives tropéziennes, comparé aux nombreuses allusions au danger turc et à leur déprédation en mer ou sur le territoire. Aucune mention de Vincent Sigismond et d'Antoine Spitario, marins tropéziens capturés en mer, l’un à une date inconnue et l’autre en 1592, et connus grâce aux archives de l’Inquisition. Tous deux parviennent à s’échapper en 1593 et réussissent à regagner l’Europe en abordant la côte de Sardaigne. Aucune allusion également dans ces archives communales à la capture du Tropézien Jean Bérenguier qui navigue durant l’année 1587 dans l'océan Atlantique en compagnie de Cannois et d’Antibois. Nul doute que la majorité des captures restera à jamais inconnue pour ce siècle où, de plus, les Européens n’ont pas de consuls en Afrique du Nord qui peuvent renseigner les Français.
Les sources sont généralement plus précises à partir de la fin du XVIe siècle, période où débutent des opérations d’achat organisées par diverses autorités. La première opération à laquelle participe Saint-Tropez se déroule en 1594. La ville donne 200 livres au secrétaire de l’ambassade du roi qui doit se rendre en Barbarie pour faire relaxer les “Français qui y sont détenus esclaves.” Aucun nom ne nous est parvenu, nous ne savons pas si l’opération a porté ses fruits. Nouvelle opération en 1604. Cette dernière est organisée par les Marseillais. La communauté de Saint-Tropez est appelée à participer tout comme pour celle de 1628. Cette année-là, le marseillais Sanson Napolon organise à partir de Toulon une vaste opération de rachat sur Alger et Tunis. Les Tropéziens ont sept esclaves à racheter. Ils participent à l’opération pour la somme de 1400 livres, chaque rachat étant fixé à 200 livres.
En 1625, le conseil vote une aumône de 30 livres pour la mère de Pierre Gatus, esclave en Barbarie, qui avait déjà vendu tous ses biens pour racheter son fils. Mais l’opération semble avoir échouée. C’est dans ce contexte que les Tropéziens décident d’organiser d’une façon plus rationnelle la collecte de fonds en nommant chaque année deux prieurs de la chapelle de la Miséricorde qui quêteront pour les pauvres et les esclaves. Les informations manquent ensuite sur d’éventuels rachats. Il faut attendre 1633 pour finalement voir les pénitents blancs de l'Annonciade créer une confrérie spécialement dédiée aux rachats. L’initiative est donc laïque dans le cas de Saint-Tropez. La récolte de fonds est difficile au point que les Tropéziens, qui déplorent trois hommes esclaves, ne peuvent espérer en racheter qu’un seul. Il est alors décidé de tirer au sort et le hasard désigne Barthélémy Magne, esclave à Tunis. Mais il est bien difficile pour la communauté de connaître la situation de chaque esclave et de monter ensuite une opération. L’exemple de Barthélémy Magne en témoigne puisque l’opération de rachat n’a été tentée qu’en 1639 par le capitaine Honoré Cauvin, soit six ans après la récolte des fonds. Mais Magne n’a jamais été libéré puisqu’un acte de 1649 nous apprend qu’il était demandé le remboursement des 86 livres allouées pour le rachat de ce Tropézien. Ce dernier étant mort en captivité.
Toutes les opérations de rachat n’échouent pas pour autant. Celle de 1642-1643 est en partie réussie. Les pénitents mobilisent le premier mai 1642, 50 écus pour racheter Étienne Martin, esclave à Alger. Le premier janvier suivant, ils envoient 300 livres à Alger ou Tunis pour racheter également Charles Estèves, Antoine Nabon et Melchior Icard “détenus par les Turcs et désignés par le sort.” Cet argent est confié à un religieux de Notre-Dame-de-la-Merci pour la rédemption des captifs. Tout semble se passer pour le mieux, mais un marchandage de dernière minute provoque une inflation des prix. Au final les Tropéziens confient la somme de 450 livres pour le rachat des seuls Martin et Estèves.
Le montage d’une opération de rachat est long et l’assurance de la mener à bien n’est jamais acquise d’autant qu’il est parfois difficile de rassembler des fonds lorsque les rachats se succèdent. Le 21 mars 1666, le conseil de la communauté vote une somme de 700 écus qui devra être portée à Marseille. Les esclaves qui doivent être rachetés se trouvent à Tunis. Il s’agit d’Antoine Jourdan, Jacques Sibille, Antoine Raymon et Antoine Mondon. Mais le premier mai, le sieur Terras, prévôt de Toulon vient à Saint-Tropez pour contraindre la communauté au paiement de sa quote-part. Le débat semble porter sur le nombre d’esclaves à racheter et donc la somme à payer. Saint-Tropez a bien payé la somme nécessaire aux quatre esclaves tropéziens cités. Mais le prévôt réclame encore 875 livres car il y en aurait cinq autres à racheter. La ville tente alors d’être exonérée de cette somme. Nous ne connaissons malheureusement pas le résultat de ce rachat. En 1667, la ville obtient la libération de Pierre Aubert, “dernier esclave tiré d’Alger.” Mais les captures et les rachats semblent sans fin puisque dès l’année suivante, les Tropéziens demandent à être exonérés de la somme de 3600 livres nécessaire au rachat de 6 captifs à Alger. Ce sont finalement sept Tropéziens qui retrouvent la liberté : Honoré Clérian, Louis Martin, Paul Martin, Jacques Roux, Estienne Perne, Antoine Jourdan, Jacques Reymond. Les délibérations communales de Saint-Tropez signalent pour l’année 1690, un dernier rachat important de cinq esclaves détenus à Alger pour un montant de 2000 livres. La ville impose une redevance pour rassembler la somme mais l’année suivante elle demande à l’intendant le remboursement de 400 livres car un des esclaves, Estoc, est mort en captivité. Après cette date, le conseil de la communauté ne semble plus participer aux rachats. Pourtant, des Tropéziens restent encore captifs, comme Joseph Valéry, esclave à Salé (Maroc) signalé sur les listes dressées en 1696, 1698, 1703, 1704 et 1705. Les ordres religieux poursuivent leur opération de rachat comme celle de 1719 qui voit la libération des Tropéziens Dominique Corrège et Étienne Peire. Mais à partir du règne de Louis XIV, le danger barbaresque décline quelque peu.
Il faut en effet attendre le règne du Roi-Soleil pour voir le royaume de France se doter d’une véritable marine de guerre permanente qui peut désormais organiser contre les cités d'Afrique du Nord de grandes campagnes de bombardements afin d’obliger les Barbaresques à signer des traités de paix et restituer les sujets français qu’ils détiennent comme esclaves. L’année 1698 voit enfin, après plus de 15 ans de guerre, la signature de la “paix éternelle” qui marque un tournant dans les relations entre le plus puissant état barbaresque, Alger et la France. Il en est ensuite de même avec les autres cités d'Afrique du Nord. Quelques marins tropéziens se retrouvent néanmoins encore esclaves en Barbarie au XVIIIe siècle mais leur nombre n'a plus rien de comparable avec ceux des deux siècles précédents. Retenons trois noms. En 1729, le capitaine Joseph Allard et son fils Joseph, âgé de 12 ans, sont capturés au large d’Alexandrie par un corsaire de Tripoli qui les revend à un Algérois. Sans doute enchaînés, les deux Tropéziens périssent noyés lors de leur voyage vers Alger. Le 6 juin 1741, c’est le capitaine Jean-François Trullet qui est capturé au large de Tunis. Il passe deux ans en captivité dans cette ville avant de pouvoir lui-même racheter sa liberté.
La question barbaresque et son corollaire, l'esclavage blanc, fut donc, nul n'en doute, une réalité. Quelque peu oubliée et masquée en partie par la terrible traite des populations noires, elle est également taboue dans le monde arabe qui la minimise alors qu’elle dura pourtant bien plus longtemps que la traite négrière occidentale. Rappelons que le dernier marché aux esclaves du Maroc ferma ses portes en 1920. Le monde arabe pratiqua donc la traite à grande échelle contre les populations blanches chrétiennes et les populations noires animistes. S'il est impossible de connaître le nombre exact de chrétiens capturés, leur nombre est évalué par les historiens entre 1 et 2 millions entre le XVIe siècle et le milieu du XVIIIe. Les derniers esclaves chrétiens sont libérés en 1830 lors de la prise d'Alger par les troupes françaises. Quelques européens le furent encore après cette date, à l'image d'employés de l'aéropostale capturés suite à des accidents d'avion dans le désert.
Cette sombre page d'histoire a également donné lieu à un grand nombre de fantasmes touchant notamment le sort des femmes dans les harems. Aussi, nous ne pouvions terminer cet article sans citer un extrait du roman La Salamandre qu'Eugène Sue écrivit en 1832, en pleine période romantique. Dans cet ouvrage, l'auteur revient sur les sort des Tropéziennes : “Que de fois les Sarrasins maudits, bravant la protection des comtes de Provence, ont fait échouer leurs sacolèves au pied de ton noble môle, leurs sacolèves qu’ils venaient charger de ces jeunes Provençales, toujours si recherchées aux bazars de Smyrne et de Tunis ! Pauvres jeunes filles de Saint-Tropez ! pour vous plus d’espoir d’être arrachées à vos familles en pleurs, enlevées par quelque maudit pirate, et déposées palpitantes, mais curieuses, sous les riches portiques du palais d’un émir ; plus d’espoir de quitter vos chaumières de briques, vos nattes de jonc, l’eau salée de la mer, pour les bains parfumés sous les sycomores, les tapis de cachemire et les coupoles élégantes aux peintures mauresques. Bonnes filles, que je conçois vos naïfs regrets !... Au moins autrefois on attendait avec espoir la saison de l’enlèvement ; car enfin c’était un avenir que cette venue de pirates.” Tout un programme !
Les Tropéziens craignent encore une descente en 1521 et l’idée de fuir la ville est évoquée mais vite abandonnée. Le danger est alors grand pour toutes les communautés littorales comme en témoigne la campagne de Barberousse en 1530-1531 durant laquelle Toulon est menacée, La Napoule et La Valette pillées.
Dans un quatrain écrit vers 1545, Nostradamus résume parfaitement la situation de la côte provençale : “Non loin du port pillerie et naufrage/ De la Cieutat frapte Isles Stecades/ De Saint Tropé grand marchandise nage/ Chasse barbare au rivage et bourgades”. Citons quelques exemples choisis parmi de nombreux autres… En 1559, un garde du cap Lardier à Ramatuelle est tué, trois autres sont enlevés avec une femme et deux enfants. Une nouvelle attaque a lieu au même endroit en 1563 : une douzaine de Provençaux sont enlevés et une rançon immédiatement demandée. Ces cas interrogent : Quelle est la nature du danger ? Qui sont les Barbaresques ? Quel est le sort des captifs réduits en esclavage ?
“Se garder, per l’aide de Dieu, de nostres ennemicz, tant de nuech que de jourt”
“Se garder avec l’aide de Dieu, de nos ennemis, tant de nuit que de jour”. Cette phrase tirée des archives municipales de la ville illustre bien cette préoccupation d’habitants vivant près du rivage. Elle est d’autant plus juste qu’avant Louis XIV, la France ne dispose pas véritablement de marine de guerre permanente pour exercer la police des mers mis à part quelques galères marseillaises. La situation s’aggrave encore au XVIIe siècle comme le rappelle l'historien Gilbert Buti. La première moitié du XVIIe siècle paraît avoir été particulièrement tragique notamment pour Saint-Tropez. Les références aux Turcs sont toujours aussi nombreuses. Les conséquences sont clairement indiquées : la “ruine de la navigation et du commerce par les incursions des pirates turcs.” En 1665, les officiers de l’Amirauté qui participent à une enquête demandée par Colbert reconnaissent la désintégration de la flotte du petit port : “… il y a eu plus de 80 navires ou polacres et un plus grand nombre de barques et tartanes appartenant aux habitants de ce lieu… tous les susdits navires, polacres, barques et autres gros bastiments, contenus aux dits cadastres – sans exception d’un seul – ont tous péri malheureusement, les uns par quelques accidents de mauvais temps… les autres par des incursions des corsaires d’Espagne et Maillorque et la plus grande partie par les pirateries continuelles des Turcs d’Afrique, où lesdits bastiments avec leurs équipages et chargements ont été emportés.” Cette “véritable apocalypse” est soulignée également par un autre historien, Michel Morineau, qui précise que “toute une flotte a été engloutie entre 1612 et 1664”. L’exemple tropézien témoigne à lui seul de l’apogée de la course barbaresque au XVIIe siècle. La population a toujours peur d’une attaque massive sur Saint-Tropez. En 1609, sur l’avis de Marseille, les Tropéziens, comme les autres cités portuaires craignent l’arrivée de galères.
Nouvelle alerte en 1616 qui pousse les consuls à ordonner la réparation du bastion de l’Aire du commun (la tour Jarlier) et la fermeture des portes. Des hommes en armes sont postés sur toutes les avenues de la ville. Il en est de même en 1620 lorsque les Tropéziens établissent trois nouvelles gardes sur les avenues en plus des six déjà existantes. L’alerte a été donnée par le gouverneur de Provence, le duc de Guise, qui a reçu une information selon laquelle Alger a armé sept galères et dix vaisseaux ronds pour venir sur la côte. Ce type d’alerte se répète en 1627. Cette année-là, les Tropéziens font des présents aux galères pour éviter leurs déprédations. Nouvelles alertes en 1655 et presque chaque année durant la décennie 1660. En 1661 par exemple, les Tropéziens aperçoivent quatre vaisseaux turcs. Peu de temps après, ce sont deux brigantins qui sont vus. Ces menaces de descentes se sont-elles concrétisées ? La ville n'a pas été attaquée. Toutefois, les Turcs apparaissent bien sur la côte et font régulièrement des descentes dans les campagnes. Cette navigation très proche de la côte et les mouillages dans quelques criques le soir, permettent parfois à quelques esclaves de s’échapper, comme en 1661, lorsque plusieurs Vénitiens parviennent à s’évader des galères turques présentes dans le golfe d’Hyères. Un événement similaire se produit en 1670, avec l’évasion d’un esclave d’une barque turque. Mais ces Barbaresques qui terrorisent les populations littorales, qui sont-ils ?
Les écrits de l'époque consacrés au monde barbaresque rappellent donc le caractère cosmopolite des principales villes côtières d’Afrique du Nord : Français, Italiens, Anglais et autres Européens composent une part non négligeable de la population renégate de ces villes. De nombreux Européens sont devenus en effet, de gré ou de force, musulmans. Et ces renégats comptent pour une grande partie des équipages barbaresques. Ainsi, les pirates turcs cités dans les archives sont bien souvent des européens. Observons-les à travers quelques exemples tropéziens. Jacques Fabre est sans doute le renégat originaire de Saint-Tropez le mieux connu grâce aux recherches de Bruno Léal. Né à Saint-Tropez en 1600, Jacques Fabre est capturé à l’âge de 9 ans alors qu’il est mousse sur un bâtiment qui se rend à Gênes. Circoncis de force sur le navire avant qu’il arrive à Tunis, le jeune Fabre adopte, petit à petit dans les années qui suivent, la foi musulmane, sans oublier pour autant complètement sa religion de naissance. Parallèlement, Fabre qui a pris depuis le jour de sa circoncision le nom de Mourad, pratique aussi la course, tout d’abord sous la contrainte et sur le navire de son maître, puis de son propre gré. En 1618, il est capturé par les Espagnols et traduit devant le tribunal de l’Inquisition de Lisbonne qui finit, après cinq mois de procès, par le réintégrer au sein de l’Eglise catholique. Mourad redevient ainsi Jacques. Autre exemple daté celui-ci de 1620. Lors d’une campagne, le capitaine de vaisseau Philippe Prévost de Beaulieu-Persac attaque avec succès une flottille d’Alger. Parmi les quatre vaisseaux d’Alger capturés, trois sont commandés par des renégats originaires de La Rochelle, Arles et Saint-Tropez. Citons un dernier cas qui illustre bien le caractère cosmopolite de la plupart des équipages barbaresques. Parmi les prises françaises de 1621, figure une barque de 26 hommes. L’équipage est composé, outre un certain nombre de Turcs et de Maures, d’un renégat tropézien, de trois Marseillais, d’un Savoyard et d’un autre Français. La présence de Provençaux parmi les équipages barbaresques peut faciliter grandement les campagnes corsaires sur un littoral si familier à certains. La connaissance des rivages, des lieux où mouiller un navire discrètement, augmente les chances de réussir une bonne campagne. Portons donc notre regard vers ceux qui eurent la malchance d'être capturés et réduits en esclavage.
De nombreux actes retrouvés dans les archives des communautés littorales font allusion aux captures d'hommes, mais également de femmes et d'enfants. Leur sort est très variable. Les enfants sont généralement faits musulmans de force. Beaucoup deviendront à leur tour corsaire. Les hommes capturés qui ont un savoir particulier sont également réduits en esclavage et employés dans leur spécialité. Un charpentier se retrouve immédiatement à travailler aux chantiers navals tandis qu'un homme sachant lire et écrire sert dans l'administration. Les plus costauds ou les moins qualifiés sont destinés à des travaux de force. Leur sort est déterminé au marché aux esclaves. Certains sont achetés par des particuliers quand d'autres sont réservés à l'État. Quant aux femmes, elles sont avant tout employées comme domestiques. Ces chrétiens capturés ont une certaine valeur qui dépend de leur état physique, de leur origine sociale et de leurs compétences. Leur capture est connue de leur famille, de leur cité d'origine et leur rachat est possible, voire voulue par leurs maîtres qui cherchent ainsi à s'enrichir grâce aux rançons demandées.
Avouons-le, nous connaissons surtout les noms de ceux qui font l'objet d'une tentative, réussie ou pas, de rachat. La question des rachats est en effet au cœur des discussions du conseil de la communauté tropézienne à partir de la fin du XVIe siècle. Il faut tout d’abord que les édiles municipaux identifient les Tropéziens captifs ainsi que leur lieu de détention. Il leur faut ensuite connaître le montant exigé pour chaque libération. Le rassemblement des sommes est également une tâche difficile qui précède l’opération elle-même. Les intermédiaires jouent naturellement un rôle très important. Tous ces paramètres font que certaines opérations de rachat peuvent durer plusieurs mois, voire quelques années.
Les hommes sont sans aucun doute les plus nombreux à être capturés. Cela s’explique aisément, car beaucoup sont marins et leur triste sort débute en mer. Nous possédons peu de noms pour le XVIe siècle, beaucoup plus pour le XVIIe. Cela tient au fait qu'au XVIe siècle, la communauté tropézienne est impuissante à agir, au plus dénonce-t-elle les attaques. Les premières tentatives de rachat ou d’échange paraissent être le résultat d’opérations individuelles, familiales. Il en est ainsi de celle montée par les patrons Étienne Guirard et Antoine Coste en 1579. Ces deux capitaines tropéziens ont acheté un Turc à Bormes pour la somme de 25 écus. Leur objectif est de le conduire à Marseille afin, à terme, de l’échanger contre Barthélémy Guirard, leur cousin, esclave en Barbarie. Peu à peu, le conseil de la communauté s'empare du problème comme l'illustre le cas de Pierre Cauvin. Capturé en 1563, les consuls font allusion à sa mésaventure car il est au moment de sa capture, collecteur d’impôts pour le compte de la communauté. Mais au final, il y a peu de noms dans les archives tropéziennes, comparé aux nombreuses allusions au danger turc et à leur déprédation en mer ou sur le territoire. Aucune mention de Vincent Sigismond et d'Antoine Spitario, marins tropéziens capturés en mer, l’un à une date inconnue et l’autre en 1592, et connus grâce aux archives de l’Inquisition. Tous deux parviennent à s’échapper en 1593 et réussissent à regagner l’Europe en abordant la côte de Sardaigne. Aucune allusion également dans ces archives communales à la capture du Tropézien Jean Bérenguier qui navigue durant l’année 1587 dans l'océan Atlantique en compagnie de Cannois et d’Antibois. Nul doute que la majorité des captures restera à jamais inconnue pour ce siècle où, de plus, les Européens n’ont pas de consuls en Afrique du Nord qui peuvent renseigner les Français.
Les sources sont généralement plus précises à partir de la fin du XVIe siècle, période où débutent des opérations d’achat organisées par diverses autorités. La première opération à laquelle participe Saint-Tropez se déroule en 1594. La ville donne 200 livres au secrétaire de l’ambassade du roi qui doit se rendre en Barbarie pour faire relaxer les “Français qui y sont détenus esclaves.” Aucun nom ne nous est parvenu, nous ne savons pas si l’opération a porté ses fruits. Nouvelle opération en 1604. Cette dernière est organisée par les Marseillais. La communauté de Saint-Tropez est appelée à participer tout comme pour celle de 1628. Cette année-là, le marseillais Sanson Napolon organise à partir de Toulon une vaste opération de rachat sur Alger et Tunis. Les Tropéziens ont sept esclaves à racheter. Ils participent à l’opération pour la somme de 1400 livres, chaque rachat étant fixé à 200 livres.
En 1625, le conseil vote une aumône de 30 livres pour la mère de Pierre Gatus, esclave en Barbarie, qui avait déjà vendu tous ses biens pour racheter son fils. Mais l’opération semble avoir échouée. C’est dans ce contexte que les Tropéziens décident d’organiser d’une façon plus rationnelle la collecte de fonds en nommant chaque année deux prieurs de la chapelle de la Miséricorde qui quêteront pour les pauvres et les esclaves. Les informations manquent ensuite sur d’éventuels rachats. Il faut attendre 1633 pour finalement voir les pénitents blancs de l'Annonciade créer une confrérie spécialement dédiée aux rachats. L’initiative est donc laïque dans le cas de Saint-Tropez. La récolte de fonds est difficile au point que les Tropéziens, qui déplorent trois hommes esclaves, ne peuvent espérer en racheter qu’un seul. Il est alors décidé de tirer au sort et le hasard désigne Barthélémy Magne, esclave à Tunis. Mais il est bien difficile pour la communauté de connaître la situation de chaque esclave et de monter ensuite une opération. L’exemple de Barthélémy Magne en témoigne puisque l’opération de rachat n’a été tentée qu’en 1639 par le capitaine Honoré Cauvin, soit six ans après la récolte des fonds. Mais Magne n’a jamais été libéré puisqu’un acte de 1649 nous apprend qu’il était demandé le remboursement des 86 livres allouées pour le rachat de ce Tropézien. Ce dernier étant mort en captivité.
Toutes les opérations de rachat n’échouent pas pour autant. Celle de 1642-1643 est en partie réussie. Les pénitents mobilisent le premier mai 1642, 50 écus pour racheter Étienne Martin, esclave à Alger. Le premier janvier suivant, ils envoient 300 livres à Alger ou Tunis pour racheter également Charles Estèves, Antoine Nabon et Melchior Icard “détenus par les Turcs et désignés par le sort.” Cet argent est confié à un religieux de Notre-Dame-de-la-Merci pour la rédemption des captifs. Tout semble se passer pour le mieux, mais un marchandage de dernière minute provoque une inflation des prix. Au final les Tropéziens confient la somme de 450 livres pour le rachat des seuls Martin et Estèves.
Le montage d’une opération de rachat est long et l’assurance de la mener à bien n’est jamais acquise d’autant qu’il est parfois difficile de rassembler des fonds lorsque les rachats se succèdent. Le 21 mars 1666, le conseil de la communauté vote une somme de 700 écus qui devra être portée à Marseille. Les esclaves qui doivent être rachetés se trouvent à Tunis. Il s’agit d’Antoine Jourdan, Jacques Sibille, Antoine Raymon et Antoine Mondon. Mais le premier mai, le sieur Terras, prévôt de Toulon vient à Saint-Tropez pour contraindre la communauté au paiement de sa quote-part. Le débat semble porter sur le nombre d’esclaves à racheter et donc la somme à payer. Saint-Tropez a bien payé la somme nécessaire aux quatre esclaves tropéziens cités. Mais le prévôt réclame encore 875 livres car il y en aurait cinq autres à racheter. La ville tente alors d’être exonérée de cette somme. Nous ne connaissons malheureusement pas le résultat de ce rachat. En 1667, la ville obtient la libération de Pierre Aubert, “dernier esclave tiré d’Alger.” Mais les captures et les rachats semblent sans fin puisque dès l’année suivante, les Tropéziens demandent à être exonérés de la somme de 3600 livres nécessaire au rachat de 6 captifs à Alger. Ce sont finalement sept Tropéziens qui retrouvent la liberté : Honoré Clérian, Louis Martin, Paul Martin, Jacques Roux, Estienne Perne, Antoine Jourdan, Jacques Reymond. Les délibérations communales de Saint-Tropez signalent pour l’année 1690, un dernier rachat important de cinq esclaves détenus à Alger pour un montant de 2000 livres. La ville impose une redevance pour rassembler la somme mais l’année suivante elle demande à l’intendant le remboursement de 400 livres car un des esclaves, Estoc, est mort en captivité. Après cette date, le conseil de la communauté ne semble plus participer aux rachats. Pourtant, des Tropéziens restent encore captifs, comme Joseph Valéry, esclave à Salé (Maroc) signalé sur les listes dressées en 1696, 1698, 1703, 1704 et 1705. Les ordres religieux poursuivent leur opération de rachat comme celle de 1719 qui voit la libération des Tropéziens Dominique Corrège et Étienne Peire. Mais à partir du règne de Louis XIV, le danger barbaresque décline quelque peu.
Il faut en effet attendre le règne du Roi-Soleil pour voir le royaume de France se doter d’une véritable marine de guerre permanente qui peut désormais organiser contre les cités d'Afrique du Nord de grandes campagnes de bombardements afin d’obliger les Barbaresques à signer des traités de paix et restituer les sujets français qu’ils détiennent comme esclaves. L’année 1698 voit enfin, après plus de 15 ans de guerre, la signature de la “paix éternelle” qui marque un tournant dans les relations entre le plus puissant état barbaresque, Alger et la France. Il en est ensuite de même avec les autres cités d'Afrique du Nord. Quelques marins tropéziens se retrouvent néanmoins encore esclaves en Barbarie au XVIIIe siècle mais leur nombre n'a plus rien de comparable avec ceux des deux siècles précédents. Retenons trois noms. En 1729, le capitaine Joseph Allard et son fils Joseph, âgé de 12 ans, sont capturés au large d’Alexandrie par un corsaire de Tripoli qui les revend à un Algérois. Sans doute enchaînés, les deux Tropéziens périssent noyés lors de leur voyage vers Alger. Le 6 juin 1741, c’est le capitaine Jean-François Trullet qui est capturé au large de Tunis. Il passe deux ans en captivité dans cette ville avant de pouvoir lui-même racheter sa liberté.
La question barbaresque et son corollaire, l'esclavage blanc, fut donc, nul n'en doute, une réalité. Quelque peu oubliée et masquée en partie par la terrible traite des populations noires, elle est également taboue dans le monde arabe qui la minimise alors qu’elle dura pourtant bien plus longtemps que la traite négrière occidentale. Rappelons que le dernier marché aux esclaves du Maroc ferma ses portes en 1920. Le monde arabe pratiqua donc la traite à grande échelle contre les populations blanches chrétiennes et les populations noires animistes. S'il est impossible de connaître le nombre exact de chrétiens capturés, leur nombre est évalué par les historiens entre 1 et 2 millions entre le XVIe siècle et le milieu du XVIIIe. Les derniers esclaves chrétiens sont libérés en 1830 lors de la prise d'Alger par les troupes françaises. Quelques européens le furent encore après cette date, à l'image d'employés de l'aéropostale capturés suite à des accidents d'avion dans le désert.
Cette sombre page d'histoire a également donné lieu à un grand nombre de fantasmes touchant notamment le sort des femmes dans les harems. Aussi, nous ne pouvions terminer cet article sans citer un extrait du roman La Salamandre qu'Eugène Sue écrivit en 1832, en pleine période romantique. Dans cet ouvrage, l'auteur revient sur les sort des Tropéziennes : “Que de fois les Sarrasins maudits, bravant la protection des comtes de Provence, ont fait échouer leurs sacolèves au pied de ton noble môle, leurs sacolèves qu’ils venaient charger de ces jeunes Provençales, toujours si recherchées aux bazars de Smyrne et de Tunis ! Pauvres jeunes filles de Saint-Tropez ! pour vous plus d’espoir d’être arrachées à vos familles en pleurs, enlevées par quelque maudit pirate, et déposées palpitantes, mais curieuses, sous les riches portiques du palais d’un émir ; plus d’espoir de quitter vos chaumières de briques, vos nattes de jonc, l’eau salée de la mer, pour les bains parfumés sous les sycomores, les tapis de cachemire et les coupoles élégantes aux peintures mauresques. Bonnes filles, que je conçois vos naïfs regrets !... Au moins autrefois on attendait avec espoir la saison de l’enlèvement ; car enfin c’était un avenir que cette venue de pirates.” Tout un programme !