Si les calanques constituent un patrimoine naturel unique, y pénétrer offre aussi une plongée dans l’histoire de Marseille, de ses origines à nos jours. Sanctuaire préhistorique, village de pêcheurs, cabanons de villégiature et photos instagrammables se télescopent pour évoquer les mouvements et les tumultes de la plus ancienne ville de France. Si aujourd’hui toutes les calanques souffrent d’une surfréquentation touristique, elles ont longtemps été préservées grâce à leur inaccessibilité et à la volonté de ses habitants qui, inconsciemment, avaient une vision proto-écologique.
Grandioses, puissantes, minérales et anciennes, les calanques sont le fruit d’une longue sédimentation. Le calcaire des massifs, issu de l’accumulation d’organismes morts sur des millions d’années, est l’incarnation de la « nécromasse noétique » formulée par Bernard Stiegler, avec lequel j’avais eu une magnifique conversation sur l’écologie sociale à Sormiou. Cette région de collines rocheuses escarpées et de garrigues battues par les vents, où s’engouffre la mer Méditerranée, incarne la puissance du temps long et la force sereine de la nature, et domine Marseille par le sud, qui s’étend à ses pieds.
Les traces archéologiques de la présence humaine dans les calanques sont rares. Cependant, l’homme les a fréquenté dès la Préhistoire, comme en témoignent les silex retrouvés dans la grotte de la Trémie. Plus célèbre, la grotte Cosquer, redécouverte en 1987 par le plongeur Henri Cosquer, se situe au bout de la calanque de Sormiou, par 37 mètres de fond. Les hommes préhistoriques ont laissé sur les parois de la caverne des peintures rupestres, témoignages de la faune qui vivaient alors dans les environs durant l’âge de glace, comme des bouquetins, des cerfs, des aurochs, des pingouins ou encore des phoques.
Si Marseille été fondée par les Grecs de Phocée en 600 avant J.-C., la région était toutefois peuplée par la tribu celte des Segobriges. Ils entretenaient une présence aux portes des calanques, et des marins fréquentaient le littoral pour la pêche et le cabotage. Certains vallons servaient également à l’agriculture, ou étaient aménagés en carrières, exploitées par les Grecs puis par les Romains. Une activité pastorale intense a probablement été pratiquée, et explique sans doute en partie la déforestation du massif, qui lui donne encore aujourd’hui son aspect aride.
On trouve pourtant peu de vestiges d’une occupation permanente des calanques, avant la construction vers 1300 de quelques tours de guet, destinées à surveiller la côte et prévenir Marseille de l’arrivée des Sarrasins et des redoutables Aragonais, coupables du sac de la ville en 1423.
Cette présence militaire se renforce à l’époque moderne, avec la construction de plusieurs batteries, et se poursuit encore aujourd’hui grâce au camp militaire de Carpiagne, implanté au cœur du massif. Ce n’est cependant que dans les années 1870, à la croisée de l’industrialisation de Marseille et de l’émergence d’une conscience provençale, que les calanques sont de nouveau fréquentées et que les villages de cabanons prennent leur essor. C’est à ce moment là que la typologie architecturale du cabanon prend forme.
Le petit village de pêcheurs de Sormiou, aux cabanons caractéristiques, est né à une période charnière pour Marseille et la Provence. Au xixe siècle les calanques s’industrialisent et la France se centralise, alors qu’émerge, comme en contrefeu, une conscience provençale moderne, portée par les Félibres et par l’école de Marseille, premier mouvement de peinture régionaliste. Les pêcheurs du village de Mazargues, aujourd’hui un quartier du sud de Marseille, se rendent à Sormiou pour tirer parti des eaux poissonneuses des calanques. Ils y bâtissent des cabanons, pour y ranger leur matériel, et y dormir si nécessaire. En marge de cette utilisation économique de la calanque, quelques passionnés s’y rendent également pour profiter du paysage. Parmi eux, des peintres, représentants de l’école provençale, parmi lesquels on peut compter Jean-Baptiste Olive ou Raphaël Ponson. Cet attrait pour le paysage provençal est typique de l’école marseillaise de peinture, qui se caractérise par un regard défiant à l’encontre de l’industrialisation. Ils apprennent à représenter avec exactitude des savoir-faire locaux, et notamment tout l’attirail du pêcheur des calanques, comme le girelier. C’est cette idée de la Provence que Cézanne ou Van Gogh vont rejoindre, à la suite des peintres de l’école de Marseille.
Alors que le cœur du massif demeure désert, le littoral s’émaille peu à peu de routes, en bordure desquelles sont bâties des usines chimiques pour produire du plomb, du soufre ou de la soude (comme aux Goudes ou à la Madrague). Les cheminées rampantes, typiques de l’industrie des calanques, apparaissent pour déplacer les zones d’expulsion des fumées toxiques. En raison de leur accès difficile, Sormiou et Morgiou n’ont pas été industrialisées. On ne pouvait en effet s’y rendre qu’à pieds ou à dos d’ânesse.
À partir du xxe siècle, les rares passionnés qui côtoyaient les pêcheurs sont bientôt suivis par de plus en plus de promeneurs. Cet engouement est notamment suscité par différentes associations de randonnée, comme les Excursionnistes marseillais. Dès les années 1890, des refuges et des sentiers pédestres sont aménagés à travers tout le massif.
L’octroi de congés payés par quelques capitaines d’industrie philanthropes, puis les lois de 1936, entraînent la naissance de la société de loisirs qui triomphera au cours des trente glorieuses. Dès l’entre-deux-guerres, et bien davantage encore après les années 1940, la calanque de Sormiou devient un lieu de villégiature pour des marseillais modestes, qui n’ont pas les moyens d’aller trop loin pendant leurs congés. Ils s’y rendent entre amis ou en famille, et construisent leurs propres cabanons. La pêche s’y pratique encore beaucoup. Ces petites maisons prennent d’ailleurs au xxe siècle leur forme actuelle, celle d’un habitat modeste, organisé autour d’une pièce centrale, généralement surmontée d’une mezzanine et couverte d’un toit à un seul pan, destiné à faciliter la récolte de l’eau de pluie.
La rusticité architecturale des cabanons et leur situation dans un cadre naturel quasi intact inspirent à partir des années 1920 des théoriciens et des architectes adeptes de l’architecture héliotrope et du Sud. Attirés par la simplicité de ces constructions vernaculaires, des créateurs du mouvement moderne, à l’image du Corbusier ou d’Eileen Gray, concevront ainsi à leur tour des habitats similaires, en pleine nature et avec le concours de petits métiers locaux. La sobriété de cette forme de bâti rejoint d’ailleurs l’approche rationaliste et utilitaire de l’architecture du Corbusier.
Alors que l’usage de Sormiou pour un usage purement récréatif se renforce, la pêche, du moins en tant qu’activité économique, décline puis disparaît dans le courant des années 1950. À partir de la fin de cette décennie, Sormiou compte plus de 150 cabanons, chiffre figé depuis le classement des calanques en 1975. À cette même époque, les associations d’usagers et les comités locaux prennent un rôle central dans le processus de classification des calanques.
Dès le xixe siècle, les cabanons deviennent un écosystème social à part. Un vocabulaire propre aux calanquais a survécu jusqu’à aujourd’hui, notamment à travers tout un glossaire de la pêche (pêche au girelier, pêche à la totène…), et des usages et coutumes se développent, comme les concours de pêche. Sormiou, isolée en raison de son accès difficile, n’est accessible aux voitures qu’en 1957, grâce à la construction d’une étroite route. La volonté de protéger les calanques survient très tôt. Dès les années 1960, les cabanoniers renoncent à électriser les bâtisses et à faire venir l’eau courante, afin d’éviter tout développement urbain néfaste à la calanque. À la même époque, émerge aussi la demande aux autorités de ne plus faire déboucher les égouts dans l’eau des calanques, vers Cortiou, sans succès jusqu’ici. Fixée et organisée dans l’après-guerre, cette conscience écologique précoce devance les politiques publiques de protection des calanques et la création du parc national en 2012.
À la fin du xxe siècle, les calanques sont de plus en plus fréquentées, que ce soit pour la randonnée, la baignade ou l’escalade. Jusqu’à 2 000 personnes se rendent à Sormiou chaque jour pendant l’été, et tous les ans des millions de touristes arpentent les vallons et se baignent dans les eaux fraîches du massif. La surfréquentaiton entraîne une difficulté d’accès au massif et surtout à ses criques et plages. Les quelques routes que les voitures peuvent emprunter et les parkings les plus proches, comme à Sormiou, à Luminy ou à Callelongue, sont continuellement engorgés. Les bruits des estivants, et parfois de la musique, modifient également en profondeur l’expérience de visite et de contemplation du parc national, en rendant moins audibles les sons de la nature et de la mer. Cette popularité du lieu le met en danger : depuis les années 1980, trois incendies ont par exemple ravagé Sormiou, la privant de sa pinède, et il y a régulièrement des départs de feu entre Marseille et Cassis. Le phénomène récent de marchandisation du paysage, apparu sur les réseaux sociaux et notamment sur Instagram, est une autre problématique qui peut entraîner la dégradation des lieux visités, en raison d’un afflux massif de touristes, et qui pousse parfois les autorités à prendre des mesures drastiques, comme l’atteste par exemple la fermeture de la source de la Durance au public. Le surcroît de publicité suscité par des influenceurs participe en effet à l’engorgement du parc national, et peut même attirer un public peu averti, surpris par l’âpreté des sentiers et par la fraîcheur de l’eau.
Paradoxalement, la classification des calanques entraîne également l’étiolement du mode de vie lié au cabanon. Il apparaît en effet qu’une vision de la nature hors de l’Homme puisse condamner à moyen terme toute intervention humaine dans les calanques, y compris des constructions qui appartiennent au patrimoine marseillais. Ainsi, le Lunch, bâtiment témoin de toute l’histoire des cabanons à Sormiou, a été détruit en 2019. Deux cabanons, qui empiétaient sur la plage, ont également été démolis. Pourtant, il nous semble que cette volonté de retour à la nature et à la pureté pré-anthropocène est illusoire et artificielle. L’Homme n’est en effet jamais vraiment coupé de son environnement et a toujours été présent dans les calanques. Il est une part d’un écosystème, et, à ce titre, les cabanons de Sormiou ou de Morgiou sont les dernières incarnations d’un habitat vernaculaire qui était autrefois visible à Malmousque, aux Goudes ou encore à Maldormé. Cet habitat fait partie de l’histoire de Marseille, et constitue non seulement un témoignage architectural unique, mais aussi le résultat et le cadre d’un écosystème social profondément lié à la géographie et à la nature non seulement des calanques mais aussi de toute la ville. À l’heure où la cité phocéenne connaît de profondes mutations, peut-être est-il temps de réévaluer l’histoire des cabanons et de la relation entre les Marseillais et les calanques.
Si les calanques constituent un patrimoine naturel unique, y pénétrer offre aussi une plongée dans l’histoire de Marseille, de ses origines à nos jours. Sanctuaire préhistorique, village de pêcheurs, cabanons de villégiature et photos instagrammables se télescopent pour évoquer les mouvements et les tumultes de la plus ancienne ville de France. Si aujourd’hui toutes les calanques souffrent d’une surfréquentation touristique, elles ont longtemps été préservées grâce à leur inaccessibilité et à la volonté de ses habitants qui, inconsciemment, avaient une vision proto-écologique.
Grandioses, puissantes, minérales et anciennes, les calanques sont le fruit d’une longue sédimentation. Le calcaire des massifs, issu de l’accumulation d’organismes morts sur des millions d’années, est l’incarnation de la « nécromasse noétique » formulée par Bernard Stiegler, avec lequel j’avais eu une magnifique conversation sur l’écologie sociale à Sormiou. Cette région de collines rocheuses escarpées et de garrigues battues par les vents, où s’engouffre la mer Méditerranée, incarne la puissance du temps long et la force sereine de la nature, et domine Marseille par le sud, qui s’étend à ses pieds.
Les traces archéologiques de la présence humaine dans les calanques sont rares. Cependant, l’homme les a fréquenté dès la Préhistoire, comme en témoignent les silex retrouvés dans la grotte de la Trémie. Plus célèbre, la grotte Cosquer, redécouverte en 1987 par le plongeur Henri Cosquer, se situe au bout de la calanque de Sormiou, par 37 mètres de fond. Les hommes préhistoriques ont laissé sur les parois de la caverne des peintures rupestres, témoignages de la faune qui vivaient alors dans les environs durant l’âge de glace, comme des bouquetins, des cerfs, des aurochs, des pingouins ou encore des phoques.
Si Marseille été fondée par les Grecs de Phocée en 600 avant J.-C., la région était toutefois peuplée par la tribu celte des Segobriges. Ils entretenaient une présence aux portes des calanques, et des marins fréquentaient le littoral pour la pêche et le cabotage. Certains vallons servaient également à l’agriculture, ou étaient aménagés en carrières, exploitées par les Grecs puis par les Romains. Une activité pastorale intense a probablement été pratiquée, et explique sans doute en partie la déforestation du massif, qui lui donne encore aujourd’hui son aspect aride.
On trouve pourtant peu de vestiges d’une occupation permanente des calanques, avant la construction vers 1300 de quelques tours de guet, destinées à surveiller la côte et prévenir Marseille de l’arrivée des Sarrasins et des redoutables Aragonais, coupables du sac de la ville en 1423.
Cette présence militaire se renforce à l’époque moderne, avec la construction de plusieurs batteries, et se poursuit encore aujourd’hui grâce au camp militaire de Carpiagne, implanté au cœur du massif. Ce n’est cependant que dans les années 1870, à la croisée de l’industrialisation de Marseille et de l’émergence d’une conscience provençale, que les calanques sont de nouveau fréquentées et que les villages de cabanons prennent leur essor. C’est à ce moment là que la typologie architecturale du cabanon prend forme.
Le petit village de pêcheurs de Sormiou, aux cabanons caractéristiques, est né à une période charnière pour Marseille et la Provence. Au xixe siècle les calanques s’industrialisent et la France se centralise, alors qu’émerge, comme en contrefeu, une conscience provençale moderne, portée par les Félibres et par l’école de Marseille, premier mouvement de peinture régionaliste. Les pêcheurs du village de Mazargues, aujourd’hui un quartier du sud de Marseille, se rendent à Sormiou pour tirer parti des eaux poissonneuses des calanques. Ils y bâtissent des cabanons, pour y ranger leur matériel, et y dormir si nécessaire. En marge de cette utilisation économique de la calanque, quelques passionnés s’y rendent également pour profiter du paysage. Parmi eux, des peintres, représentants de l’école provençale, parmi lesquels on peut compter Jean-Baptiste Olive ou Raphaël Ponson. Cet attrait pour le paysage provençal est typique de l’école marseillaise de peinture, qui se caractérise par un regard défiant à l’encontre de l’industrialisation. Ils apprennent à représenter avec exactitude des savoir-faire locaux, et notamment tout l’attirail du pêcheur des calanques, comme le girelier. C’est cette idée de la Provence que Cézanne ou Van Gogh vont rejoindre, à la suite des peintres de l’école de Marseille.
Alors que le cœur du massif demeure désert, le littoral s’émaille peu à peu de routes, en bordure desquelles sont bâties des usines chimiques pour produire du plomb, du soufre ou de la soude (comme aux Goudes ou à la Madrague). Les cheminées rampantes, typiques de l’industrie des calanques, apparaissent pour déplacer les zones d’expulsion des fumées toxiques. En raison de leur accès difficile, Sormiou et Morgiou n’ont pas été industrialisées. On ne pouvait en effet s’y rendre qu’à pieds ou à dos d’ânesse.
À partir du xxe siècle, les rares passionnés qui côtoyaient les pêcheurs sont bientôt suivis par de plus en plus de promeneurs. Cet engouement est notamment suscité par différentes associations de randonnée, comme les Excursionnistes marseillais. Dès les années 1890, des refuges et des sentiers pédestres sont aménagés à travers tout le massif.
L’octroi de congés payés par quelques capitaines d’industrie philanthropes, puis les lois de 1936, entraînent la naissance de la société de loisirs qui triomphera au cours des trente glorieuses. Dès l’entre-deux-guerres, et bien davantage encore après les années 1940, la calanque de Sormiou devient un lieu de villégiature pour des marseillais modestes, qui n’ont pas les moyens d’aller trop loin pendant leurs congés. Ils s’y rendent entre amis ou en famille, et construisent leurs propres cabanons. La pêche s’y pratique encore beaucoup. Ces petites maisons prennent d’ailleurs au xxe siècle leur forme actuelle, celle d’un habitat modeste, organisé autour d’une pièce centrale, généralement surmontée d’une mezzanine et couverte d’un toit à un seul pan, destiné à faciliter la récolte de l’eau de pluie.
La rusticité architecturale des cabanons et leur situation dans un cadre naturel quasi intact inspirent à partir des années 1920 des théoriciens et des architectes adeptes de l’architecture héliotrope et du Sud. Attirés par la simplicité de ces constructions vernaculaires, des créateurs du mouvement moderne, à l’image du Corbusier ou d’Eileen Gray, concevront ainsi à leur tour des habitats similaires, en pleine nature et avec le concours de petits métiers locaux. La sobriété de cette forme de bâti rejoint d’ailleurs l’approche rationaliste et utilitaire de l’architecture du Corbusier.
Alors que l’usage de Sormiou pour un usage purement récréatif se renforce, la pêche, du moins en tant qu’activité économique, décline puis disparaît dans le courant des années 1950. À partir de la fin de cette décennie, Sormiou compte plus de 150 cabanons, chiffre figé depuis le classement des calanques en 1975. À cette même époque, les associations d’usagers et les comités locaux prennent un rôle central dans le processus de classification des calanques.
Dès le xixe siècle, les cabanons deviennent un écosystème social à part. Un vocabulaire propre aux calanquais a survécu jusqu’à aujourd’hui, notamment à travers tout un glossaire de la pêche (pêche au girelier, pêche à la totène…), et des usages et coutumes se développent, comme les concours de pêche. Sormiou, isolée en raison de son accès difficile, n’est accessible aux voitures qu’en 1957, grâce à la construction d’une étroite route. La volonté de protéger les calanques survient très tôt. Dès les années 1960, les cabanoniers renoncent à électriser les bâtisses et à faire venir l’eau courante, afin d’éviter tout développement urbain néfaste à la calanque. À la même époque, émerge aussi la demande aux autorités de ne plus faire déboucher les égouts dans l’eau des calanques, vers Cortiou, sans succès jusqu’ici. Fixée et organisée dans l’après-guerre, cette conscience écologique précoce devance les politiques publiques de protection des calanques et la création du parc national en 2012.
À la fin du xxe siècle, les calanques sont de plus en plus fréquentées, que ce soit pour la randonnée, la baignade ou l’escalade. Jusqu’à 2 000 personnes se rendent à Sormiou chaque jour pendant l’été, et tous les ans des millions de touristes arpentent les vallons et se baignent dans les eaux fraîches du massif. La surfréquentaiton entraîne une difficulté d’accès au massif et surtout à ses criques et plages. Les quelques routes que les voitures peuvent emprunter et les parkings les plus proches, comme à Sormiou, à Luminy ou à Callelongue, sont continuellement engorgés. Les bruits des estivants, et parfois de la musique, modifient également en profondeur l’expérience de visite et de contemplation du parc national, en rendant moins audibles les sons de la nature et de la mer. Cette popularité du lieu le met en danger : depuis les années 1980, trois incendies ont par exemple ravagé Sormiou, la privant de sa pinède, et il y a régulièrement des départs de feu entre Marseille et Cassis. Le phénomène récent de marchandisation du paysage, apparu sur les réseaux sociaux et notamment sur Instagram, est une autre problématique qui peut entraîner la dégradation des lieux visités, en raison d’un afflux massif de touristes, et qui pousse parfois les autorités à prendre des mesures drastiques, comme l’atteste par exemple la fermeture de la source de la Durance au public. Le surcroît de publicité suscité par des influenceurs participe en effet à l’engorgement du parc national, et peut même attirer un public peu averti, surpris par l’âpreté des sentiers et par la fraîcheur de l’eau.
Paradoxalement, la classification des calanques entraîne également l’étiolement du mode de vie lié au cabanon. Il apparaît en effet qu’une vision de la nature hors de l’Homme puisse condamner à moyen terme toute intervention humaine dans les calanques, y compris des constructions qui appartiennent au patrimoine marseillais. Ainsi, le Lunch, bâtiment témoin de toute l’histoire des cabanons à Sormiou, a été détruit en 2019. Deux cabanons, qui empiétaient sur la plage, ont également été démolis. Pourtant, il nous semble que cette volonté de retour à la nature et à la pureté pré-anthropocène est illusoire et artificielle. L’Homme n’est en effet jamais vraiment coupé de son environnement et a toujours été présent dans les calanques. Il est une part d’un écosystème, et, à ce titre, les cabanons de Sormiou ou de Morgiou sont les dernières incarnations d’un habitat vernaculaire qui était autrefois visible à Malmousque, aux Goudes ou encore à Maldormé. Cet habitat fait partie de l’histoire de Marseille, et constitue non seulement un témoignage architectural unique, mais aussi le résultat et le cadre d’un écosystème social profondément lié à la géographie et à la nature non seulement des calanques mais aussi de toute la ville. À l’heure où la cité phocéenne connaît de profondes mutations, peut-être est-il temps de réévaluer l’histoire des cabanons et de la relation entre les Marseillais et les calanques.