Il est l’homme de tous les superlatifs et l’on s’étonne de voir un chef, de 44 ans à peine, accumuler autant de titres. Pluie de toques au Gault & Millau, 3 étoiles au Guide Michelin 2013, chef de l’année élu par ses pairs cette même année, deux livres édités chez Flammarion et Alain Ducasse éditions… Mais que manque-t-il à Arnaud Donckele ? “Je ne me suis jamais posé la question, répond de but en blanc le cuisinier. Je ne fais pas ce métier pour récolter des trophées mais j’en suis très honoré. J’ai l’impression d’avoir été chanceux mais je suis quelqu’un qui doute beaucoup. Ma plus grande crainte, c’est la régression du savoir-faire ou de perdre les gens avec qui je travaille. Je fais abstractions des récompenses et distinctions et essaie d’être le plus sincère possible”.
Le travail en équipe est essentiel pour Donckele, le chef aux deux visages. En journée, le cuisinier se reconnaît volontiers “très accessible et protecteur, je suis un affectif”. Mais lorsque débute le service, le professionnel développe une obsession : “Je veux que les gens donnent le maximum d’eux-mêmes. Il faut que ça sorte des tripes avec un jaillissement d’amour. J’attends d’eux une concentration optimale et on ne peut pas tricher avec ça”. “Eux” c’est la brigade d’Arnaud Donckele, des gars de 20-26 ans en moyenne, “c’est jeune mais ils sont génialissimes” reconnaît-il.
Dans la cuisine où le chef reçoit et répond aux questions, tout en travaillant à la mise en place du prochain service, chacun a sa place. La mécanique cuisinière rejoint la précision horlogère. Tout semble facile, élégant, harmonieux. De temps à autres, Donckele apostrophe un chef de partie ou un commis et l’invite à surveiller ici une sauce, là une cuisson.
Les brouillards de 2020 et du début 2021 se dissipent. L’horizon est clair, dégagé de tout nuage et la nature optimiste du cuisinier prend volontiers le dessus : “La génération qui arrive nourrit de vraies obsessions et affiche plus de valeurs qu’auparavant. Elle revendique de vraies idées et un réel sens du partage. Les jeunes sont nombreux à avoir pris conscience de la valeur humaine et du produit”. Le produit, c’est l’autre idée fixe du “plus grand chef étoilé du monde 2019” qui résume sa pensée en une phrase : “Le produit n’est pas une abstraction mais une obsession… Ça résume bien ce que je pense vous ne trouvez pas ?”. Sans le producteur, il n’y a pas de bons produits garants d’une bonne cuisine. “Aujourd’hui, je rencontre de plus en plus de passionnés, des gens habités qui ne travaillent pas pour un métier mais pour une passion. Ils ont le respect de la terre” assure-t-il. Dans ce Panthéon des gens de conviction, le chef de Cheval blanc Saint-Tropez cite Yann Ménard et son magnifique potager de 8 hectares à Cogolin, ou les “vinaigres exceptionnels” de David Doczekalski, compagnon du tour de France, installé à Callas depuis 2003.
Portant un regard mondialisé sur la gastronomie, le chef natif de Rouen, en Normandie, estime qu’elle se porte très bien en France d’abord, et dans le monde, ensuite. “C’est comme une toile de maître qui grandit et couvre toute la planète”, assène-t-il. Toujours sans se départir d’un revigorant optimisme, Donckele imagine un futur où il y aura de plus en plus de tables gastronomiques car, en dépit de la conjoncture, le secteur est appelé à se développer. “Ce qui a changé, c’est qu’aujourd’hui on trouve de grandes assiettes avec de grands produits dans des univers très humbles. Jadis, la gastronomie avait besoin d’argenterie et de lourdes nappes blanches et je constate qu’aujourd’hui, les codes du luxe ne sont plus indispensables, toute la concentration se porte sur l’ingrédient et son travail”...
Qu’il semble loin ce temps où le jeune Arnaud rêvait de devenir cuisinier ! À l’époque, Philippe et Véronique Donckele, les parents charcutiers-traiteurs à Mantes-la-Jolie, où ils s’installent quand leur fils n’a que 7 ans, “n’étaient pas chauds du tout, confesse-t-il. Ils avaient peur que je souffre d’une vie familiale bouleversée, ils craignaient pour moi les heures de travail ininterrompues ; je crois qu’ils avaient peur que je mène la même vie qu’eux”.
Mais le papa est un passionné de grande cuisine et il emmène sa famille faire le tour des trois étoiles de l’Hexagone à chaque sortie du guide rouge. Le charcutier est aussi un grand chasseur qui lit Michel Guérard, Roger Vergé, Alain Chapel et cuisine leurs recettes. “Il copiait les grandes tables” poursuit Arnaud Donckele pour expliquer d’où lui vient cet intérêt pour la cuisine. “Je crois que je courais après le regard de mon père et je pense que, quelque part, j’ai fini par attirer son regard… On se construit souvent par rapport à son passé”, souffle-t-il laissant planer un lourd silence.
De son enfance, Arnaud Donckele garde le souvenir des plats normands de sa grand-mère et de son fameux lapin à la moutarde : “Chez ma grand-mère, on vivait en quasi-autarcie. On tuait le lapin pour le manger. On mangeait pour se nourrir mais toujours avec de bons produits, il n’y avait pas de magie émotionnelle dans les plats, reconnaît-il. Vous savez, à la maison, les cuisiniers sophistiqués mangent simplement, comme tout le monde”. Quant à sa maman, “elle me dit qu’elle est fière mais mes parents c’est mon univers personnel”. Fermez le ban.
L’ouverture espérée en 2021 de l’hôtel Cheval blanc Paris ramènera Arnaud Donckele “dans le Nord”, là où il a fait son apprentissage. Des chefs qui l’ont marqué, il cite le marseillais Jean-Louis Nomicos qui l’a accueilli chez Lasserre, et Michel Guérard, “deux Grands avec un très gros G”, dit-il. Et puis il y a aussi Alain Chapel, Bernard Pacaud, Pierre Gagnaire et Guy Savoy “pour lesquels j’ai une admiration sans borne”. Un aréopage d’étoilés qui doivent beaucoup aux guides et critiques, “n’oublions pas que ces distinctions codifient ce que nous sommes et c’est grâce à ce système que nos restaurants peuvent vivre. C’est grâce à eux que Fontjoncouse et Laguiole sont sorties de l’anonymat”, estime Donckele au sujet de l’auberge du Vieux Puits de Gilles Goujon, dans l’Aude, et de la Maison Bras, en Aveyron. Pour diriger la brigade du restaurant de l’hôtel Cheval blanc Paris, Donckele, fidèle à son image, a tout pensé et s’est organisé pour être toujours présent en cuisine. Les restaurants accueillant le public en soirée uniquement, le chef prendra beaucoup le train ; il s’appuiera également sur ses chefs exécutifs et ses équipes. “Pour faire vivre les brasseries, les brigades ont très largement le niveau” appuie-t-il. Peut-être est-ce dans le TGV que le chef trouvera le temps du repos et de se replonger - pourquoi pas ? -, dans ses livres de chevet. “La Cuisine gourmande de Michel Guérard” et le livre d’Alain Chapel “la Cuisine, c’est beaucoup plus que des recettes”, tous deux édités chez Robert Laffont, “sont des ouvrages profondément ancrés dans mon cœur”.
L’heure du service approche, le silence et la concentration montent en cuisine. Les clients attendent d’Arnaud Donckele qu’il les étonne et les émeuve. Mais comment surprendre un cuisinier qui se remet en question à chaque service ? “Pour me surprendre, il faut être sincère, avoue-t-il. La cuisine sincère, faite avec le cœur, ça me surprendra toujours”.
Il est l’homme de tous les superlatifs et l’on s’étonne de voir un chef, de 44 ans à peine, accumuler autant de titres. Pluie de toques au Gault & Millau, 3 étoiles au Guide Michelin 2013, chef de l’année élu par ses pairs cette même année, deux livres édités chez Flammarion et Alain Ducasse éditions… Mais que manque-t-il à Arnaud Donckele ? “Je ne me suis jamais posé la question, répond de but en blanc le cuisinier. Je ne fais pas ce métier pour récolter des trophées mais j’en suis très honoré. J’ai l’impression d’avoir été chanceux mais je suis quelqu’un qui doute beaucoup. Ma plus grande crainte, c’est la régression du savoir-faire ou de perdre les gens avec qui je travaille. Je fais abstractions des récompenses et distinctions et essaie d’être le plus sincère possible”.
Le travail en équipe est essentiel pour Donckele, le chef aux deux visages. En journée, le cuisinier se reconnaît volontiers “très accessible et protecteur, je suis un affectif”. Mais lorsque débute le service, le professionnel développe une obsession : “Je veux que les gens donnent le maximum d’eux-mêmes. Il faut que ça sorte des tripes avec un jaillissement d’amour. J’attends d’eux une concentration optimale et on ne peut pas tricher avec ça”. “Eux” c’est la brigade d’Arnaud Donckele, des gars de 20-26 ans en moyenne, “c’est jeune mais ils sont génialissimes” reconnaît-il.
Dans la cuisine où le chef reçoit et répond aux questions, tout en travaillant à la mise en place du prochain service, chacun a sa place. La mécanique cuisinière rejoint la précision horlogère. Tout semble facile, élégant, harmonieux. De temps à autres, Donckele apostrophe un chef de partie ou un commis et l’invite à surveiller ici une sauce, là une cuisson.
Les brouillards de 2020 et du début 2021 se dissipent. L’horizon est clair, dégagé de tout nuage et la nature optimiste du cuisinier prend volontiers le dessus : “La génération qui arrive nourrit de vraies obsessions et affiche plus de valeurs qu’auparavant. Elle revendique de vraies idées et un réel sens du partage. Les jeunes sont nombreux à avoir pris conscience de la valeur humaine et du produit”. Le produit, c’est l’autre idée fixe du “plus grand chef étoilé du monde 2019” qui résume sa pensée en une phrase : “Le produit n’est pas une abstraction mais une obsession… Ça résume bien ce que je pense vous ne trouvez pas ?”. Sans le producteur, il n’y a pas de bons produits garants d’une bonne cuisine. “Aujourd’hui, je rencontre de plus en plus de passionnés, des gens habités qui ne travaillent pas pour un métier mais pour une passion. Ils ont le respect de la terre” assure-t-il. Dans ce Panthéon des gens de conviction, le chef de Cheval blanc Saint-Tropez cite Yann Ménard et son magnifique potager de 8 hectares à Cogolin, ou les “vinaigres exceptionnels” de David Doczekalski, compagnon du tour de France, installé à Callas depuis 2003.
Portant un regard mondialisé sur la gastronomie, le chef natif de Rouen, en Normandie, estime qu’elle se porte très bien en France d’abord, et dans le monde, ensuite. “C’est comme une toile de maître qui grandit et couvre toute la planète”, assène-t-il. Toujours sans se départir d’un revigorant optimisme, Donckele imagine un futur où il y aura de plus en plus de tables gastronomiques car, en dépit de la conjoncture, le secteur est appelé à se développer. “Ce qui a changé, c’est qu’aujourd’hui on trouve de grandes assiettes avec de grands produits dans des univers très humbles. Jadis, la gastronomie avait besoin d’argenterie et de lourdes nappes blanches et je constate qu’aujourd’hui, les codes du luxe ne sont plus indispensables, toute la concentration se porte sur l’ingrédient et son travail”...
Qu’il semble loin ce temps où le jeune Arnaud rêvait de devenir cuisinier ! À l’époque, Philippe et Véronique Donckele, les parents charcutiers-traiteurs à Mantes-la-Jolie, où ils s’installent quand leur fils n’a que 7 ans, “n’étaient pas chauds du tout, confesse-t-il. Ils avaient peur que je souffre d’une vie familiale bouleversée, ils craignaient pour moi les heures de travail ininterrompues ; je crois qu’ils avaient peur que je mène la même vie qu’eux”.
Mais le papa est un passionné de grande cuisine et il emmène sa famille faire le tour des trois étoiles de l’Hexagone à chaque sortie du guide rouge. Le charcutier est aussi un grand chasseur qui lit Michel Guérard, Roger Vergé, Alain Chapel et cuisine leurs recettes. “Il copiait les grandes tables” poursuit Arnaud Donckele pour expliquer d’où lui vient cet intérêt pour la cuisine. “Je crois que je courais après le regard de mon père et je pense que, quelque part, j’ai fini par attirer son regard… On se construit souvent par rapport à son passé”, souffle-t-il laissant planer un lourd silence.
De son enfance, Arnaud Donckele garde le souvenir des plats normands de sa grand-mère et de son fameux lapin à la moutarde : “Chez ma grand-mère, on vivait en quasi-autarcie. On tuait le lapin pour le manger. On mangeait pour se nourrir mais toujours avec de bons produits, il n’y avait pas de magie émotionnelle dans les plats, reconnaît-il. Vous savez, à la maison, les cuisiniers sophistiqués mangent simplement, comme tout le monde”. Quant à sa maman, “elle me dit qu’elle est fière mais mes parents c’est mon univers personnel”. Fermez le ban.
L’ouverture espérée en 2021 de l’hôtel Cheval blanc Paris ramènera Arnaud Donckele “dans le Nord”, là où il a fait son apprentissage. Des chefs qui l’ont marqué, il cite le marseillais Jean-Louis Nomicos qui l’a accueilli chez Lasserre, et Michel Guérard, “deux Grands avec un très gros G”, dit-il. Et puis il y a aussi Alain Chapel, Bernard Pacaud, Pierre Gagnaire et Guy Savoy “pour lesquels j’ai une admiration sans borne”. Un aréopage d’étoilés qui doivent beaucoup aux guides et critiques, “n’oublions pas que ces distinctions codifient ce que nous sommes et c’est grâce à ce système que nos restaurants peuvent vivre. C’est grâce à eux que Fontjoncouse et Laguiole sont sorties de l’anonymat”, estime Donckele au sujet de l’auberge du Vieux Puits de Gilles Goujon, dans l’Aude, et de la Maison Bras, en Aveyron. Pour diriger la brigade du restaurant de l’hôtel Cheval blanc Paris, Donckele, fidèle à son image, a tout pensé et s’est organisé pour être toujours présent en cuisine. Les restaurants accueillant le public en soirée uniquement, le chef prendra beaucoup le train ; il s’appuiera également sur ses chefs exécutifs et ses équipes. “Pour faire vivre les brasseries, les brigades ont très largement le niveau” appuie-t-il. Peut-être est-ce dans le TGV que le chef trouvera le temps du repos et de se replonger - pourquoi pas ? -, dans ses livres de chevet. “La Cuisine gourmande de Michel Guérard” et le livre d’Alain Chapel “la Cuisine, c’est beaucoup plus que des recettes”, tous deux édités chez Robert Laffont, “sont des ouvrages profondément ancrés dans mon cœur”.
L’heure du service approche, le silence et la concentration montent en cuisine. Les clients attendent d’Arnaud Donckele qu’il les étonne et les émeuve. Mais comment surprendre un cuisinier qui se remet en question à chaque service ? “Pour me surprendre, il faut être sincère, avoue-t-il. La cuisine sincère, faite avec le cœur, ça me surprendra toujours”.